Un restaurant pour prolonger la vision de Mauviel 1830

Un beau jour de 2021, Thomas Velter, administrateur de l’abbaye du Mont Saint- Michel et directeur général de l’EPIC, appelle Valérie Le Guern Gilbert pour lui demander si elle ne connaît pas des chefs susceptibles d’être intéressés par l’appel d’offres, lancé par le CMN pour le Logis Sainte Catherine. Il n’a alors aucune idée que Mauviel1830 peut elle-même être candidate. Pourtant, dans l’esprit de Valérie, chemine depuis un moment l’idée d’ouvrir un restaurant, pour développer encore davantage la philosophie de sa maison, « bien fabriquer, bien cuire, bien manger ». Selon elle, « un restaurant est l’expression la plus complète de l’expérience que l’on peut offrir à travers nos produits ».

La présidente de Mauviel1830 attend cependant l’occasion parfaite pour ouvrir ce restaurant. Quand Thomas Velter lui parle du projet, situé sur le Mont Saint-Michel, éloigné de seulement 40 kilomètres de sa manufacture, dans un monument historique en dessous de l’abbaye, elle y voit cette opportunité tant attendue.

Voilà l’aventure lancée. Pour cette procédure de concession de service pour l’exploitation d’un restaurant initiée par le CMN, c’est finalement Mauviel1830 qui est choisie parmi de nombreux candidats. La décision est prise en mai 2022 à l’issue de la mise en concurrence. Comme le souligne Marie Lavandier, présidente du CMN, c’est le choix d’une « entreprise d’excellence de grand rayonnement, familiale et enracinée dans la région depuis très longtemps ».

« Entreprise de la Manche, à l’histoire séculaire… C’était presque une évidence de leur faire confiance », avance de son côté Thomas Velter.

Je vous salue Logis
Un chantier d’ampleur pour donner vie au lieu

Après la remise des clés en novembre 2022, des travaux d’un peu plus d’un an, débutés en 2023, servent à transformer en restaurant fonctionnel ce lieu qui a connu plusieurs vies (petit couvent avec quelques sœurs, logis de la famille Poulard, et enfin, caserne de pompiers). Tout le matériel de cuisine est ainsi posé, un mur porteur supprimé, une stabilisation du plancher par des poutres métalliques effectuée…

En plus du gros œuvre, des mesures esthétiques sont également prises comme la mise à nu de la pierre des murs. Dans ce bâtiment ancien, le cabinet d’architecture Bachmann Associés veut et doit « conserver, exalter au maximum l’existant ». Le Centre des monuments nationaux, qui restaure, conserve et ouvre à la visite plus d’une centaine de monuments sur le territoire français, dont le Logis et 70% de la surface du Mont Saint-Michel, est également associé. Il a en effet « développé une parfaite connaissance du site et de ses particularités ». Avec cette prise en main, le CMN voit son ambition « de faire redécouvrir le bâtiment et lui donner un nouvel usage » respectée.

L’objectif est de « retrouver l’âme d’un logis inspiré du monde ecclésiastique et le savoir-faire de la maison Mauviel ». Depuis l’arrivée dans le jardin, classé au titre des monuments historiques, embrassant la totalité de la baie et offrant un panorama rare, ainsi que la terrasse, on aperçoit les cuisines, habillées, déjà, d’éléments en cuivre emblématique de Mauviel1830. On emprunte ensuite un escalier, à gauche, ou à droite, pour accéder à la salle. En entrant, la vue sur le bar dévoile elle aussi un habillage en cuivre ainsi qu’un nombre impressionnant de liqueurs, disposées sur des étagères en verre devant un miroir. Par la suite, vous pourrez vous diriger dans l’une des deux salles pour vous restaurer.

« L’ensemble emprunte ses codes au sacré : salles boisées, épais rideaux de velours, fauteuils de paille et noyer, encensoirs, chasubles…»

détaille Bachmann Associés.

Même les toilettes contiennent leur petite spécificité avec un bénitier en guise de lavabo. L’impression globale est celle d’un endroit en continuation du goût de Valérie Le Guern Gilbert, un fouillis apparent d’objets dont la logique se débusque dans l’esthétique et l’harmonie, peu importe l’époque de création. Amoureuse de design, d’art contemporain et de décoration, la femme d’affaires a l'œil partout et a rajouté par elle-même des objets au sein du Logis, un chapelet par ci, la création peinte d’une amie par là. Il fait bon s’installer dans ce lieu, où l’on goûte par les yeux la promesse d’un bien-être attendu de même dans l’assiette. 

Thibault Schach, héraut de l’art de vivre

Défendre la tradition française, une histoire commune.

Résolument axée sur les produits locaux, de saison, la cuisine est traditionnelle et accessible, aussi conviviale que le lieu qui l’accueille. Tout comme le Mont, blotti entre terre et mer, les plats honorent les deux environnements. Ainsi, un homard Thermidor côtoie une côte de cochon pour deux ou une recette de rillettes saisonnière, en ce moment, d'araignée de mer. Un kouign amann encore tiède, recouvert de caramel et servi avec une crème double, à peine acide et à la vanille, trône parmi les desserts, entouré d’un baba au calvados ou d’un soufflé au chocolat.

Ici, le chef Thibault Schach fait ce qu’il aime, la cuisine française avec ses goûts. Conscient de l’héritage historique du lieu, il souhaite y célébrer la tradition du repas à la française, alliant gastronomie et art de vivre : « J'aime le côté convivial du Logis, sa terrasse couronnée par l'abbaye. J'aime que les clients s'y sentent bien, qu'ils aient envie de s'attabler un petit moment, prendre une belle bouteille, voire deux, et prendre du plaisir ».

Ancien du Buerehiesel (établissement mythique de Strasbourg), il est contacté par Anthony Clémot, une vieille connaissance, pour prendre part au projet. Thibault Schach accepte immédiatement, bien qu’il soit en poste et chef dans un établissement de La Plagne à ce moment-là. Sa compagne, Camille Fauvel, qui travaille en tant que directrice de salle, est en effet normande. Elle lui a fait découvrir sa région au cours de différents séjours et Thibault a succombé à ses attraits. Le projet leur parle donc à tous les deux, tant d'un point de vue personnel que d'un point de vue professionnel. Ils arrivent ensemble, avec d'autres membres de la brigade, comme Jules Vernoux, barman et sommelier.

Pierres séculaires, enjeux modernes

La symbiose d’un patrimoine gastronomique, historique et environnemental

Le Logis rassemble des bons produits, une carte locale et recherchée, et une belle histoire. Le liant de tout cela, en plus du critère humain, est Mauviel1830. Chaque plat servi au restaurant est préparé, voire servi, dans un ustensile de la marque. Et les parallèles entre la maison mère et son émanation dans la restauration sont innombrables. Le plus important est peut-être celui d’une offre artisanale d’une qualité supérieure au plus grand nombre, dans un principe de transmission et de gardien du savoir-faire français. Chaque ustensile a en effet été fait à la main. La présidente, septième génération de sa famille à diriger Mauviel1830, est de ceux qui veillent au grain.

Le Mont Saint-Michel est un décor qui coule de source (salée) pour abriter le premier restaurant de Mauviel1830. L’endroit, qui accueille près de trois millions de visiteurs chaque année, reçoit 40% environ de visiteurs étrangers, faisant de l’endroit « une vitrine de la France ».

L’endroit souffre parfois de l’image d’un site victime du tourisme de masse, où l’accueil peut laisser à désirer. Un préjugé que Thomas Velter veut anéantir, par « une meilleure gestion des transports, de l’accueil, des flux de fréquentation mais aussi avec de nouvelles offres culturelles et événementielles. Le restaurant fait partie intégrante de cette stratégie ». Permettre de « conjuguer patrimoine gastronomique, historique et environnemental, c’est l’assurance de proposer quelque chose d’unique pour les visiteurs », soutient-il. D’ailleurs, le Logis n’est pas seul à étoffer l’offre culinaire du Mont. L’arrivée récente de Christophe Pacheco à La Mère Poulard et l’ouverture de l’Auberge Sauvage depuis la mi-2021 y contribuent également.

Mauviel1830 ou l’art d’apporter sa pierre à l’édifice

« La perle rare » pour faire briller le Mont Saint-Michel

Mauviel1830 et Le Logis Sainte Catherine viennent cependant apporter à l’ensemble une touche inédite : « Il y a un tel respect à apporter à ce lieu que même une carte culinaire se doit de le faire. Je crois qu’en tant que septième génération de ma famille qui travaille toujours dans le respect des six d’avant et dans la préparation de la huitième, c’est la même histoire. Nous avons pour ambition d’apporter notre petite pierre, pendant un certain temps, au Mont Saint-Michel. Ce qui nous a différenciés des autres, c’est le fait d’être une société historique, familiale. Le respect de l’histoire et de la transmission a aussi joué », lance Valérie Le Guern Gilbert.

Une affirmation à laquelle Thomas Velter répond en écho : « Le CMN aurait pu faire confiance à un groupe de restauration qui rayonne à l’international, ils ont d’ailleurs été plusieurs à envoyer leur candidature. Mais l’idée était de trouver la perle rare, aussi précieuse que l’histoire millénaire du Mont Saint-Michel. Mauviel avait cette particularité, ce caractère inédit et singulier que tous les autres n’avaient pas ».

Pour être le témoin de ce récit, bien trop âgé pour se raconter en entier et qui se ressent plus qu’il ne s’apprend, il suffit de venir au Logis. Sur sa terrasse où les mésanges, bien indifférentes à tout ça, guettent la miette qui choit. Accoudé au bar avec la baie en reflet dans le miroir. Ou encore à une petite table ronde face à la fenêtre, qui permet de voir cette météo si changeante au point d’offrir quatre panoramas par jour. Dans la lueur du soleil, dans les boiseries des salles et dans l’odeur des plats, vous pourrez entrevoir alors, si vous êtes chanceux, un peu de ce qui fait le Mont Saint-Michel.